La rupture des Ligaments Croisés du Genou
Ci dessus le film : procédure opératoire détaillée de la ligamentoplastie du LCA par DT4 arthroscopique
Avant d’aborder le sujet, il est nécessaire de rappeler quelques définitions de terminologie, afin d’éviter toute confusion:
Une entorse est la définition précise anatomique pour décrire la déchirure d’un ligament. Un ligament ne peut jamais être « étiré » : en effet tous nos ligaments sont inextensibles, c’est d’ailleurs leur rôle propre: s’ils pouvaient s’étirer, nous serions « élastiques » et ne tiendrions pas debout !
L’utilisation courante du mot « entorse » dans le langage populaire (« j’ai fait une entorse au régime… ») fait souvent croire à une fausse bénignité. Pour un chirurgien, et maintenant pour vous aussi, une entorse, c’est la « fracture d’un ligament », toujours plus grave qu’on peut le croire par cet abus de langage.
Nous avons vu au chapitre précédent l’anatomie du genou et de ses ligaments; chacun d’eux peut être rompu dans un contexte traumatique;
L’entorse des ligaments périphériques : le ligament latéral externe, mais plus souvent le ligament latéral interne, lorsqu’ils sont rompus (entorse du LLI) cicatriseront spontanément sans chirurgie, et nécessitent généralement deux à trois mois de soins appropriés : immobilisation à titre antalgique, attelles articulées, soins de rééducation.
Par contre, la déchirure d’un ligament croisé ne peut pas cicatriser spontanément, car ses deux bouts sont libres dans l’articulation du genou, et jamais « jointifs » sauf en cas de rupture partielle d’un des deux faisceaux du LCAE (et non d’étirement !).
Cette rupture survient le plus souvent dans un contexte sportif (ski, football, rugby, et autres sports dits « à pivot contact » ou le pied reste collé au sol et le genou tourne sur lui même), n’est pas forcément très douloureuse (bien moins qu’une lésion méniscale pourtant moins grave).
Cette rupture du LCA peut donner lieu à une instabilité chronique du genou, c’est à dire un genou qui lâche. En effet le rôle principal de ce ligament est de coordonner les mouvements de flexion/extension du genou sans qu’il y ait de glissement en avant du tibia relativement au fémur (qu’on appelle « tiroir antérieur »).
Ces épisodes de lâchages du genou à répétition sont arthrogènes car ils abîment le cartilage du fait de ce mouvement anormal, et ils peuvent également provoquer des déchirures méniscales. Comprenez qu’un LCA rompu avec épisodes d’instabilité à répétition va user le genou plus vite que la normale et donner une arthrose prématurée.
En cas d’instabilité avérée (lâchages du genou à répétition), et à plus forte raison chez le sujet jeune et sportif (car fortes sollicitations), Il est nécessaire de reconstruire ce ligament : on parle de ligamentoplastie du LCA. En effet, ce LCA ne peut être simplement « réparé » car la suture est impossible techniquement et ne tiendrait pas du fait d’un point de faiblesse intrinsèque. Depuis 40 ans, on procède donc à des « ligamentoplasties du genou », c’est à dire à une reconstruction du LCA.
Deux grandes philosophies techniques cohabitent de nos jours :
– la ligamentoplastie par transfert de tendon rotulien ou opération de Kenneth Johnes (KJ) par arthroscopie.
– la ligamentoplastie par transplant de Droit Interne et Demi Tendineux (DIDT) par arthroscopie, ou sa variante moins invasive, le DT4 qui ne prélève qu’un seul tendon.
En cas de reprise de ligamentoplastie du genou, les chirurgiens ont recours à deux autres techniques qui ne sont pas pratiquées en première intention:
– ligamentoplastie au tendon quadricipital (tendon au dessus de la rotule),
– ligamentoplastie de Macintosh – Lemaire, au fascia lata (tubulisation de l’aponévrose du muscle vaste externe en dehors de la cuisse)
Les chirurgiens orthopédistes ont dans tous les cas, même en cas de reprise, recours à l’arthroscopie ce qui leur évite d »ouvrir l’articulation du genou, en respectant l’intégrité de l’appareil extenseur, et permet une récupération fonctionnelle plus rapide; elle n’empêche pas la nécessité de faire quelques petites cicatrices, ne serait ce que pour prélever la greffe qui nous servira à reconstruire le LCA, mais rien à voir avec les cicatrices d’il y a 20 ans (mis à part le Macintosh-lemaire)!
Ligamentoplastie du Croisé Antérieur : technique DT4
DT4, ligamentoplastie aux ischio-jambiers ne prélevant qu’un seul tendon (au lieu de deux pour le DIDT classique)les avantages du DT4(1) – ancrage cortical solide du greffon par vis d’interférence (2) – intervention arthroscopique mini-invasive et respect de l’appareil extenseur du genou (3) – tunnels osseux « borgnes » (4) – prélèvement d’un seul tendon de la patte d’oie, au lieu de deux dans le classique « DIDT » |
Ligamentoplastie du Croisé Antérieur : technique DI-DT
La technique de réparation du Ligament Croisé Antérieur par plastie au Droit Interne et Demi Tendineux, est toujours réalisée par arthroscopie. Dans cette technique, deux tendons de la patte d’oie sont prélevés par une courte incision sous le genou. Ces tendons sont solidarisés deux à deux sur une table de travail, puis passés dans le genou en lieu et place du LCA natif par arthroscopie.Il existe de nombreux systèmes de fixation du DIDT au fémur et au Tibia. Notre préférence actuelle va à la fixation fémorale par un endobouton parfois complété par une vis d’interférence, et la fixation tibial est assurée par une vis d’interférence parfois complétée d’une agrafe métallique tibiale.Les suites postopératoires ne diffèrent pas du DT4, et sont exposées dans le chapitre spécifique à la rééducation des ligamentoplasties. |
Ligamentoplastie du Croisé Antérieur : technique Kenneth -Jones
La ligamentoplastie du LCA au tendon rotulien, ou Kenneth Jones, utilise le tiers médian du tendon rotulien, pédiculé sur deux baguettes osseuses prélevées sur la rotule et le tibia, et qui serviront de point d’ancrage os-os au ligament. L’intervention est toujours réalisée par arthroscopie, mais nécessite une ouverture cutanée plus importante que les DT4 ou DIDT, du fait du prélèvement du transplant rotulien. Après préparation des tunnels tibiaux et fémoraux, le transplant est monté dans le genou sous contrôle arthroscopique. Sa fixation est assurée par des vis d’interférence, résorbables ou non, le plus souvent radio transparentes.La récupération fonctionnelle peut être plus lente que pour les DIDT et DT4, du fait de l’atteinte de l’appareil extenseur qui provoque parfois une sidération quadricipitale réflexe contre laquelle il faut lutter dès les premières heures postopératoires par une contraction cyclique volontaire du quadriceps.Le Kenneth Jones a fait depuis longtemps la preuve de son efficacité dans les réparations du LCA, notamment de par l’ostéointégration des baguettes osseuses.
Rééducation des Ligamentoplasties du Croisé Antérieur
Les grands principes de rééducation sont pour nous identiques, quelle que soit la technique dont vous allez bénéficier (DT4, DIDT, ou KJ plus rarement).Phase préopératoireLe plus souvent, en l’absence de demande spécifique du patient relative à un timing professionnel ou sportif, nous opérons les ruptures du LCA à froid, c’est à dire au plus tôt dans les 3 à 6 mois qui suivent la rupture, pour laisser cicatriser les lésions périphériques, notamment le LLI.
Pendant cette période, c’est la physiothérapie antalgique, l’entretien des mobilités actives aidées du genou, et le maintien du capital musculaire qui est la règle.
Une attelle articulée peut être prescrite pour stabiliser le genou dans le plan frontal et laisser cicatriser le plan ligamentaire interne.
En cas d’amyotrophie importante de la cuisse, il peut être indiqué de renforcer celle ci par une rééducation spécifique préopératoire.Durant l’hospitalisationCelle ci sera de courte durée: parfois moins de 24 heures, avec une durée maximale de trois jours constatée pour nous.
L’analgésie péri-opératoire est assurée le plus souvent par un bloc neural tronculaire crural et ou bi-bloc crural et sciatique, qui permet l’indolence immédiate durant les 15 premières heures postopératoires. Elle est complétée par l’administration d’antalgiques périphériques en perfusion et/ou en comprimés.La sidération quadricipitaleEst plus fréquente avec la technique KJ que DIDT et surtout DT4: il s’agit d’une atonie musculaire reflexe du quadriceps, qui refuse de se contracter, par un mécanisme extra-volontaire, de peur de provoquer des douleurs. Ces douleurs sont le plus souvent majorées par une appréhension, et il est capital de lutter contre cette sidération par une contraction cyclique volontaire en hyperfréquence du quadriceps: Plus précocement sera débutée cet entretient musculaire, moins s’installera la sidération.Dans le lit, les jambes sont surélevées pour éviter l’oedeme, le port de bandes à varices prévient des complications thrombo-emboliques.L’appui immédiat est autorisé d’emblée, et sans restriction, pour permettre la marche avec appui complet au plus vite, avec déroulement naturel du pas jusque 60° de flexion, à l’aide de béquilles, et sans aucune attelle de contention.
L’hyper-extension au delà de 0° doit être évitée.
Dans les phases de transfert, la jambe valide vient en renfort sous la jambe opérée pour les changements de position.Lutter contre le flexumLe flexum du genou, c’est l’enraidissement en légère flexion, qui peut s’installer dans les jours qui suivent l’intervention, et devient difficilement récupérable par la suite. Pour éviter cet écueil, il faut faire dès le jour même de l’intervention, et le plus souvent possible, un travail postural d’extension, afin de garder la jambe parfaitement droite.Travail de la flexion active et musculaireLa flexion active aidée du genou est possible dans les suites immédiates, avec comme précaution jusque J45 de ne pas dépasser les 90° de flexion pour éviter la sollicitation excessive des ancrages du transplant.la rééducation est poursuivie en cabinet de rééducation dès la sortie d’hospitalisation, selon le même protocole :
– mobilisation de 0° à 60° active aidé en chaîne fermée, pendant 15 jours puis au delà jusqu’à 90° à J45
– travail en chaîne fermée,
– travail en co-contraction quadriceps et ischio-jambiers,
– marche avec appui complet et déroulement du pas,
– abandon progressif des cannes, gardées au maximum 21 jours,
– renforcement musculaire du quadricepsDe 2 à 3 mois postopératoireRécupération complète de l’hyperflexion au delà de 90° jusqu’à 130°-135°
travail musculaire en chaîne fermée dynamique : squat, stepper
travail proprioceptif
massage de cicatrice, libération d’adhérences,
éléctro-stimulation
vélo sans restriction
natation axiale, palmesde 3 à 6 mois postopératoiresreprise progressive du running sur le plat
vélo sans restriction
travail en chaîne ouverte du quadriceps avec charge proximale
La récupération complète de l’extension si flexum persistant
Le footing, le vélo, la natation sont fortement conseillés, le travail sur trampoline devient possible en bi et monopodal.
après 6 moisreprise du sport préférentiel, hors compétition
après 9 moisreprise des compétitions et matches
Les complications
Les complications spécifiques de la chirurgie arthroscopique du ligament croisé antérieur sont:
– l’algodystrophie, désormais appelée « syndrome régional douloureux complexe de type II », qui est possible comme pour toute chirurgie des membres. Son explication est complexe, plus fréquente sur un terrain anxio-dépressif ou en contexte chirurgical péjoratif (implication socio-professionnelle notamment, type « maladie professionnelle » ou « accident du travail »). Son traitement est long, et nécéssitera une consultation de spécialiste de la douleur: l’algologue. L’algodystrophie guérit toujours, et peut parfois laisser des séquelles de type raideur articulaire.
– le risque de raideur fonctionnelle du genou, en cas de mauvaise rééducation post opératoire, surtout si le patient garde une attelle trop longtemps.
– la sidération quadricipitale, liée à la douleur, et qui ralentit la rééducation et provoque une fonte musculaire rapide
– le risque infectieux existe comme pour toute chirurgie. Il est très rare car l’opération sous arthroscopie se fait dans un circuit d’eau continu; si infection il y a elle pourra nécéssiter une reprise par arthroscopie avec lavage du genou
– un épanchement articulaire persistant, sans qu’il y ait d’infection, correspondant à un processus de cicatrisation, peut nécéssiter plusieures semaines pour disparaître totalement
– le risque de thrombose veineuse des membres inférieurs (phlébite) est possible, surtout en cas d’antécédents de phlébite, d’immobilisation prolongée, ou de terrain thrombogène (tabac, pillule oestroprogestative, facteurs héréditaires)
– complications plus spécifiques, de type raideur mécanique du genou et/ou incompétence de la ligamentoplastie, lié le plus souvent à uen erreur technique sur le positionnement du transplant (anisométrie)
– rupture itérative du transplant: toujours sur un traumatisem à haute énergie (sportif), qui n’est pas à proprement parler une complication, mais permet de rappeller que la réparation n’est pas indestructible.Références Bibliographiques & Liens Externes
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